L’auteur voyage et vit sous l’emprise d’une maison qu’une manchote a toujours possédée. Sa porte ne s’ouvre que pour la laisser entrer, son lit ne l’invite que quand elle le désire, et dans cet espace vivant où le temps n’a pas d’heure pour un prisonnier,  sa fenêtre ne lui laisse voir qu’à sa guise ces arbres morts qui sont des éclairs gelés. Vous voudrez donc bien lui  passer ses délires.

Notes sur le Champ d’Oiseaux
Conçue par des dieux qui s’ennuyaient Europe est immortelle, morts d’ennui ils se sont suicidés mais elle vit. Elle a 3500 ans, l’âge de son parfum, et ses enfants  gravent au laser sur la coque de leurs vaisseaux spatiaux leurs sidérantes valeurs. Immortelles ? Peut-être plus demain. Fleuve souterrain ignorant les humains ,nos valeurs passent entre ses rives, en aval deviennent poncifs et  accélèrent leur course vers l’horizon de l’oubli. Qu’est-ce que la valeur ?

Pour nos savants la valeur est ce qu’ils mesurent. Nés sourds dans la Maison du Bruit, ils  se penchent impavides sur le champ quantique et devant sa magie ils semblent s’étonner.  Et dans ce  champ  qui  ondule sous le vent des Puissances, ils n’entendent pas le chant d’oiseaux mutants au plumage bariolé se moquer de leurs lois. Le Champ d’Oiseaux. Sorti du rien son espace n’a pas d’heure, ou bien les deux fusionnent en magma. Pendant ce temps qui n’en est pas, nos jardiniers de métamorphoses et cancres cosmiques se grattent  la tête, remercient Einstein pour ses électrons relativistes qui font marcher nos voitures  et Maria Goeppers pour ses nombres magiques qui tiennent nos murs. Vive la magie !

Il m’en faudra bien pour rendre nomades mes  espaces ,  marcher  pour  l’âme sur le vide des esprits, fuir des murs qui nous tuent,  nous jeter hors de nous pour tomber vers le haut !

Europe est sur toutes les lèvres et ne parle pas. Les bavards s’en gobergent, on ne l’entend pas, les forums pullulent où sa chaise est vide,  nos billets l’exhibent en hologramme,  Eurovision la laisse de marbre et son  parfum nous laisse cois.  Cette négation pure erre la nuit dans des palais froids où des ventriloques contrefont sa voix. Des fonctionnaires  fonctionnent,  l’Union fonctionne à la carotte, la Commission au bâton,  la Culture au frigo. Et quand l’hymne européen  résonne, la muette ne peut s’empêcher de pleurer. 

Née chimère de la terre et du ciel, fille adoptive d’un Grec et d’une Assyrienne, Tyr en Asie l’a vue grandir dans un autre palais. Deux continents se l’arrachent à plaisir, un taureau ailé la prend pour lui.  Europe la Vieille,  à vingt ans grand-mère du Minotaure, à trente arrière- arrière grand- mère d’Hélène de Troie, a beaucoup péché. Pour cela  Platon la dénigre, Cicéron n’aimait la beauté que romaine,  Hésiode lui invente ses rêves pour continuer de parler. Le Sicilien Moschos de Syracuse l’aima , lui dédia un poème qu’il se dépêcha de brûler pour ne pas finir au bûcher. Puis le silence.

Historique du silence
Le même, qui pendant six siècles   enterra Lucrèce et son « De Natura » en le grattant sur parchemin au fond d’un  monastère. Le silence d’église, trahi par des moines de Poitiers qui en 1282 nomment Européens les peuples coalisés qui dévalent vers les Pyrénées pour Dieu. Le même qui attend 1986 et le Larousse pour murmurer ’européens’ les citoyens de l’Union Européenne. Pécheresse à Tyr, chérie des Grecs,  née  sur une rive, enracinée dans l’autre, la concubine de Zeus mère des  Européens joua  entre les deux son rôle de pont vivant.

 

PREAMBULE

Tout commence en 2017 par un rallye nocturne entre Andorre La Vieille et la gare TGV de Montpellier. Ma passagère aimait mon histoire du géant aveugle.  Mars son chat sur mes genoux y a mis  sa griffe, le tissu du jean est griffé. Elle descend devant la gare, à un bras la cage de son fauve,  à l’autre sa valise. Je démarre au feu,  dans mon  rétroviseur mes yeux fatigués croient voir sur la blonde frimousse la tête de l’aigle que plus tard elle sera parce que je l’aurai voulue ainsi. Il est six heures, l’heure des éboueurs. Vite un bon café et chez moi, hors du monde! Le Mazega dans la Montagne Noire  vit hors du temps et des lois de la physique.   Ses foudres en boules dévalent ma cheminée à  grand fracas, ressortent sans bruit par le trou de la serrure. Au grenier, héritage poussiéreux d’un  chevaucheur de nuées, un cheval de paille jadis sa monture qu’il m’est interdit de toucher.  Des éclairs noirs ont foré le rocher, creusant des tunnels où personne n’ose aller.  C’est là que vit un arbre- vieillard avec des rêves d’enfant  que la foudre a brisés. C’est là aussi que réside mon garde-manger.

Car revenu de guerre en homme détruit, colporteur ravaudé en poète avec les débris, j'échange pour vivre mes oeuvres pour trois sous... Un autre mot pour colporteur ? Echangeur routier. En route les gens m'achètent par peur, car je porte la guerre en traits burinés qui remplacent ma figure..   Le vieil arbre me protège du mal qui erre, il  a parlé à ses frères, leurs rejets ont fait à ma maison un  rempart de troncs, j’angoisse. Si j’étais chêne dans une autre vie avec un autre nom ? Colporteur   je me fournis en inspiration chez un prisonnier d’arbre poète condamné par une déesse vexée par un portrait en rimes vexatoires. Mon ami qui est  aussi son geôlier a gardé  dans ses fruits la saveur de ses poèmes pour qu’en les mangeant je les rêve, et au réveil je les écris. Suis-je menteur ou bien plagiaire de ce qu’ avant moi un collègue rêvait ?  Sans ma sueur, ma langue et mes pieds, les mains glacées de la Vérité l’auraient  noyé. Je l’appelle Maljour, moi c'est Magueule c’est tout dire.


«  Si je mens c’est qu’il faut mentir pour vivre-
Et mon cheval de paille que je tiens par le mors- Pour me voir enfin sourire retient ses sanglots-,
Car voici que s’avance agitant ses grelots-
Fragile et translucide comme une fleur de givre-
La vérité toute nue qui s’appelle la Mort. »

Mais le bout d’étoffe en feu d’étoiles griffé par Mars fauve ? Tissé d’antimatière, indestructible. Comment le condamné me l’aurait-il transmis ? Europe je la voulais ! J’ai son parfum sur ce tissu ! C’est pour moi Mélusine, Jeanne d’Arc, Héloïse, Théolinda reine des Goths, Ariane fille de Minos,  la Grande Catherine et la Fille des Neiges amante des vrais hommes ! Son manteau luminaire des nuits ! Devant la preuve la Vérité   n’a vu que du feu.  Songes, vous n’allez pas me la prendre ! ? (rire)Je n’ai que ça ! Je la tâte,  elle roussit ma culotte… … !

La Vérité ne dort jamais, a espionné Sophie au Mazega sous la pluie, qui pleurait dans une autre vie. Qui est vraiment Sophie ? Ma propriétaire...  J’ai vu son bras blanc éclaté, à la vue du sang j’ai flippé et j’ai fui, Sophie criait, ,  le roc saignait sous les morsures de la foudre et les coups d’aile de l’ombre n’ont rien fait pour me cacher. Elle m’a vu,  son couteau de bergère détachait les derniers lambeaux qui la retenaient à son bras, elle a colmaté le sang avec de la boue,  il pleuvait, hein Sophie ! Reste encore un peu, ne pars pas,  pas encore, demain est un autre jour pour rêver!.

Rêver de Jésus corps sacré d’antimatière   tombé vers le haut ? Je l’ai rêvé. Il est monté au ciel comme tout le monde. Sa mère  le voit mort, elle l’a ressuscité. Caïphe la convoque , il veut tuer Jésus une deuxième fois.  Elle s’offre dans un couloir au garde qui va l’égorger,   quand il râle sur elle le repousse, l’achève avec son poignard, s’évade  avec ses sœurs pour aller vivre en Syrie par le chemin de Damas.  Marie n’est pas morte, elle erre dans le Non-Etre du Purgatoire, pour expier. Les anti-protons s’aiment moi non plus, crachent des photons sans lumière qui  se brisent, et leurs éclats de matière noire salissent la robe de l’Immaculée Conception  !…L’espace sans temps ?Pourquoi pas ? Il y a bien le temps sans espace ! Einstein  cancre augmenté aimait blaguer…et ces trous noirs invisibles dans un espace courbé sous une poigne d’acier, ce grand poète parlait de les  faire  exploser pour les  voir enfin avant de mourir !

Europe d'Einstein
Europe, adieu !
Je m’en vais les bras pleins d’étoiles,
Le cœur plein de tes sourdes oreilles,
Vers minuit moins le quart.
C’est tout ce que tu me cédais
Et sans cesse j’attendais,
Comme une araignée qui a perdu sa toile.

Europe au dictionnaire :
Plus petite des six lunes de Jupiter,
Pour ainsi dire à sa coupe,
Boule de glace, dessert,
Qu’il  mange à la cuiller.

Europe sur la carte
Se déroule interminablement
De Lisbonne à Vladivostok,
Procession lente et belle,
Triomphe qui s’arrête à la mer.
Puis de Mourmansk tel un aigle,
Fond sur Athènes et Odessa.

Europe d’un évêque :
« C’est  une lune très « cool » ...
Jupiter est son geôlier.
Prisonnière d’un astre,
Quel poète pour en rêver ?
Elle attend le désastre
Qui viendra la délivrer
De son cercueil de glace,
En temps et heure.
……
Née dans une ville très « hot »,
J’y ai dit ma première messe..
Rome penchait pour Tyr,
Sa pourpre masquait les brasiers
Où les enfants brûlaient!
O  noirs osselets, or et sang !
Chaud devant !
L’idole éclaire les nuits d’incestes,
 Pleurs et chants, plaintes et jurements,
De par Dieu ! De par Satan !

A marée basse c’est tout méchant,
Crabes et murènes le disputent
Au murex puant.
Pourquoi Europe  nubile
Mit son parfum dans ce bazar ?
D’ailleurs a-t-elle seulement existé ? »

Ainsi parlait de celle qu’il aimait le prince-évêque Guillaume de Tyr, à Moschos de Syracuse, poète diplômé.

CHAPITRE  UN

Le palais de Tyr où Europe  devint humaine dans les mains d’Agénor a été retrouvé sous vingt mètres de décombres à Sour, port de pêche endormi en Syrie. Mais je l’ai  bien trouvé dans ce palais, ramené au Mazega ce manteau en feu d'étoile qui irradie! Au départ c’était pas gagné. Devant moi sa propriétaire fuyait. Derrière, la populace hurlait,  dans l’air l’odeur de chair grillée, la fumée et les cris, la statue de Baal chauffée à  blanc, mes pieds  m’ont catapulté  vers la sortie, ont collé aux talons  d’une gamine accompagnée d’un nain qui me faisait des crocs en jambes.  Elle avait froid , je voulais lui rendre son manteau, elle  le jette, des ivrognes l’ont  tondue,  elle court pour sa vie,  nue vers son  futur. Son parfum m’enivre,  ma raison  me dit de fuir en sens opposé. Je choisis le parfum  et garde le manteau.  Nous voyagerons de concert à travers les siècles. Europe m’attend un jour avec un naufragé de l’espace sans temps et me présente son futur mari grand navigateur.

1942, siège de Leningrad par les Allemands devenu Petrograd par décret de Staline, sa mort l’y attend  depuis 3500 ans. Les sirènes des Stukas,  la  bombe soufflante devant l’église d’où elle sortait, pour la nuit de noces un cratère sous le parvis leur est réservé. Elle y  est descendue souriante en robe de mariée  avec l’homme de sa vie, pour se remarier aussitôt avec la mort. J’étais son témoin je voulus les suivre, la terre en retombant me chasse. Les bombes incendiaires chuintent sur la ville au bout de leurs petits parachutes blancs, on dirait de  la neige, ou des plumes, mais le bitume des rues a fondu, pris feu, collé sur place les fuyards par les pieds, alors ils s’enfuient jambes brûlées ou torches vivantes.S 'ils restent ils noircissent, se réduisent à la taille d'un enfant de cinq ans. Tout ce chemin, tous ces pas à double sens pour en arriver à ces morts flamboyants..

J’ai eu beaucoup de chance ! Ou j’étais protégé par les  druides, leur chant d’Orphée  me fit  moudre les siècles,  franchir le passage  et rentrer chez moi. Ecrire Europe à coups de souvenirs. Les bêtes et autres féroces  accouraient pour la voir, la sentir, c’est fou ce qu’on courait, Orphée  chantait dans les arbres, son chant faisait voler les pierres  pour la voir de près…ou l’assommer. On a longé  les génocides, les miradors décorés pour Noël par la femme d’ Himmler en visite,  les charniers vivants du NKVD  nous offraient leurs fleurs lascives, on a couru tant d’années, fui devant tant d’armées ! La princesse au parfum que la matière noire veut assassiner n’a jamais connu  l’harmonie.

Une fraction de seconde avant ma mort par manque de temps j’ai donc franchi la frontière de deux univers, avalé  notre lumière  et retrouvé Sophie. Et ce nain détaché par une déesse est revenu surveiller la manchote… jusqu’à  mon lit, qu’elle prétend être le sien.  La bergère  sourit, se pousse pour me faire une place, le nain est de trop, il dormira par terre. Je peux embrasser le moignon , elle me signifie que j’ai un an pour me trouver quelqu’un d’autre, qu’elle éprouve une fatigue morale depuis cette histoire de foudre, que je sens mauvais et qu’elle épousera le nain pour avoir de mes nouvelles.

Avant l’année écoulée j’ai donc profité qu’elle dormait pour lui passer la bague. Elle s’éveilla victime  de mariage forcé, ne porta pas plainte, mais le carré de tissu que j’ai plié sous mes draps a disparu,  c’est « son » armoire, ce qui s’y trouve est à elle. Car elle s’est toujours habillée avec soin de rien, ne peut  donc s’empêcher de s’en faire une robe de mariée, et sous ses doigts abîmés le rien s’est augmenté jusqu’à devenir robe, a épousé ses formes jusqu'à la peau pour m'affrioler.. Dans l’église de Saint Rome le jour du mariage parut donc devant le curé, le bedeau, l’enfant de chœur et trois  témoins,  nue dans son lambeau de feu d’étoiles, une éblouissante  beauté !

L'ASCENSION
A la sortie de l’église la robe de Sophie a brusquement pris feu, une flamme bleue est montée du liséré de la robe jusqu’au col brodé, mais Sophie n’a pas souffert, elle était juste incandescente. Et comme  ses pieds quittaient le sol elle m’a proposé sa main pour que je la suive mais comme toujours j'ai reculé. Sophie montait comme si elle tombait en virevoltant lentement, la foule a surgi et plus tard ils ont juré n’avoir rien vu. Bientôt la manchote ne fut qu'un point brillant avec une robe de comète, et elle a disparu.  La voix du nain pourtant absent me fit sursauter -"La Cinquième Force la veut, mais elle reviendra dans mille ans car elle est immortelle, elle a le droit, et toi, si tu es toujours là..."-Je lui demandai ce que signifiaient ces absurdités, et je l'entendis grommeler à travers l'espace que l'antimatière se dit "feu d'étoiles" en langue galactique ancienne.

CHAPITRE DEUX

NAISSANCE D’EUROPE

Il était une fois un éclair en hiver, ainsi faisait Ouranos  le Ciel l’amour à sa sœur Gaïa la Terre, pour humilier les géants sortis de son ventre  qui lançaient des pierres à leur père et de leurs bras voulaient le déchirer. L’éclair perça la glace, le ventre de Gaia frémit,  engloutit la semence,  et du cratère surgit un être sans forme fruit d’ inceste voulu par des dieux, chimère  à 20000° qui ne pourra mourir car faite d’antimatière, d’où émane un parfum  à vous damner.

-« Va jouer aux astres ! » hurle soudain le vent excédé. Que faire sinon obéir ? Ouranos s’arrache de son rêve de  bébé en oubliant son  manteau. C’est la chance de la chose, car la voyant  nue Gaïa la met dans sa cuisse le temps de  lui faire du manteau une robe de feu d’étoiles.  Mais son fils cyclope veut la manger. Alors priant qu’un humain la prenne pour en faire une humaine,   Gaïa lui lègue son parfum preneur d’hommes et la confie à son nain. Il devra lui chercher une famille, ce sera un couple royal en la personne d’Agénor et Elvire, roi et reine de Tyr en  Asie.

Comment dans son berceau d’or qui menace de fondre, la créature peut deviner que sa mère stérile ne la verra jamais ? Qu’un  jardinier pour son parfum perdra sa couronne ? Où voit-on ailleurs un roi jardinier, sinon à Tyr Ville Etat  ouverte au monde, rivale de Carthage, fondée  par Moïse au retour d’Egypte,  capitale de la pourpre au temps des Romains, sanctuaire de Baal Melkart depuis les Assyriens.

Et empire d’Elvire. Qui empêche en effet la reine de choisir elle même les enfants à offrir au dieu infernal ? Le bel Agénor à la barbe fleurie ? Elvire l’a promu nounou de leur fille. Il dormait dans sa cabane de jardin, ne parlait qu’à ses potirons,  ne voyait  de la mer qu’un champ de laitues, et voilà qu’il doit revenir  au palais  pour  biberonner, chouchouter, changer des langes! Vint le triste temps des cerises.

S’avisant que le berceau d’or va fondre, le si peu roi  met le bébé sur les dalles à rougeoyer car les draps prennent feu. Il le tâte, reconnaît une fille,  s’y brûle aussi mais  le  parfum masque ses douleurs,  il récidive. L’enfant grandit, Agénor désormais à l’embrasser passe ses nuits. Est-il coupable ou bien victime ? Ses doigts  tombent en cendres alors que sous ses paumes la fille devient femme. Ses bras sont des brandons enflammés, ses lèvres éclatent,   ses joues noircissent tandis que la femme embellit. Elle lui donne  sa flamme, il la paie en baisers. La voilà rose dans les bras d’un grand brûlé. Va-t-il mourir ? Les Parques reculent devant la Beauté, les  flammes  se laissent fléchir par la nuit, un  matin le chambellan trouve une caricature  bonne à pendre au mur et à n ‘y plus penser. Il la pend. Et sur les mosaïques de la chambre nuptiale montrant plus vrais que nature les tétons de Gaïa , reposait une créature de cette chair si bonne que les dieux pour en trouver se déchirent. C’est ainsi  qu’un si peu monarque si bellement se consuma pour une demi-déesse qui à ses approches  ne pouvait s’empêcher de trembler,  et lui d’aller vers le jugement des hommes, et Athéna de retenir le fléau  de sa balance  pour éviter  de condamner sa soeur.  

Car si la vertu se vend, la médisance s’épanche, les prêtres de Baal saccagèrent le palais, il fut exilé  au potager. C’est Cadmos fils bâtard  d’Agénor , qui  prit sur lui de le décapiter,    brandir sa tête pour monter sur le trône, épouser sa belle-mère et  bannir une enfant si belle  qu’elle était faite pour l’exil, car à la moindre algarade les foules pour elle  se seraient jetées sur lui.


CHAPITRE TROIS

Aux temps archaïques, le Mazega  (mas de la source en langue d’Oc)  est un hameau  bâti par les druides sur un gouffre de matière noire foré par un gigantesque éclair.  Et pour construire les murs, leur chant  fait monter du gouffre des pierres d’antimatière qui  tombent vers le haut et retombent dans leurs mains. Puis  confortés d’hydromel, au lieu de remercier Isis ils l’insultent. Dès lors sommés d’aller inspecter l’abîme, ils débouchent sur une cavité où errent des ombres.

Quel air ont-ils respiré dans cet espace où l’antimatière réduit le temps à rien,  où tout est figé en attendant qu’il revienne ?  Alors même qu’ils y ont marché vers le futur ou le passé et sont revenus indemnes?  Et pourquoi pas moi puisque ici  la magie décide. Ainsi de mon arbre, il n’est pas le seul à garder sur ordre un prisonnier. Au temps des dieux la prison n’existait pas et quand une tête leur déplaisait, ils trouvaient l’arbre bien pratique. Le mien  n’est pas le seul, son proche voisin  est  rempli de femmes qui seraient fées condamnées, et son meilleur ami abrite le serpent séducteur d’Eve.

Le nain viendra avec moi. Nous marcherons vers cette immortelle jusqu’à  son berceau d’or qu’elle a fait fondre, au bout d’un palais  où poussent entre les dalles les laitues d’un ex -roi jardinier. Puis suivant le parfum preneur d’hommes, je ferai demi tour et mettrai avec elle le cap vers son avenir en direction de sa tombe sans lui avouer que  sur la même route j’irai vers mon passé, et que je devrai la quitter bien que  née avant moi dans cet univers absurde, œuvre d’un génie méconnu.

 

HISTOIRE DU ROI OFFA

J’ai trouvé cette histoire dans un livre dépenaillé, sans couverture ni auteur ni titre,   qu’un anonyme du coin a mis à ma porte, trouvé la tombe d’Offa, elle contenait l’outil qui m’ouvrira la route d’Europe au royaume des ombres. En ce temps là sur la Montagne Noire, Isis était servie par des druides  du Mazega, et leur future prêtresse y naquit, bonne pour le service du temple. Mais vivre au milieu des brigands n’étant pas recommandé pour une vierge, ils lui trouvèrent une épée en la personne d’Offa, un géant ancien légionnaire romain qui insulta un dictateur. Les gardes noirs qui l’aimaient lui donnèrent  une heure pour s’enfuir. Le récit qu’il fit de sa fuite plut beaucoup  à la vierge,  il était fort beau, elle  le présenta à ses parents, lui offrit son lit et de beaux enfants.

Quand il fut question de bague au doigt,  elle se heurta à un mur. Elle le renvoya, mais  il fit l’inverse, monta sur le Larzac avec son épée, là où  Phébus dieu romain de ses pères lui dicterait sa conduite. Il l’implora sans ciller pour bien voir  les signes, l’épée au clair à son côté, et au soir l’augure tomba : il serait aveugle. Un berger qui passait le ramena chez lui pour qu’il offre à sa femme  en guise de bague ses yeux morts. Elle le reprit dans son lit.  De son invisible prison qui le faisait fidèle à perpétuité, il sentit sur ses joues les baisers de ses enfants venus lui dire adieu, entendit ses serviteurs prendre leur congé, et ne vit pas les envahisseurs chasser les Ruthènes de la vallée, prendre le pont sur le Tarn et les menacer. Mais toujours, qu’ils soient cent ou  mille, un seul glaive brandi par un  vieillard agité et guidé par sa femme les faisait reculer.

Debout aux aurores, au nom d’Isis elle appelait le soleil et il venait. Elle guidait jusqu’au porche la main  experte en moulinets, et abritée sous un bras gros comme un tronc, ne comptait au loin que  des morts. Car chassant devant lui l’ombre des vallées et aveuglant quiconque le fixait, le soleil fondait sur l’épée qu’il embrasait, et jusqu’au soir la lame devenue éclair, brûlait tout ce qui approchait. C’était beau comme le remords du dieu qui l’avait aveuglé.

Elle n’avait plus peur qu’il la quitte puisqu’ ils allaient mourir ensemble. Car la nuit éteignait  le glaive, et au porche où ils campaient des volées de flèches cherchaient l’entrée, une seule y parvint, c’était pour elle,  désignée par le sort elle la prit. L’aube la trouva exsangue. Et c’est guidé par ses derniers murmures qu’il  la porta  sur leur lit funèbre, l’y allongea dans sa  robe pleine de sang, s’étendit à son côté, lui chuchota qu’il l’aimait dans le murmure de la source, et fit rouler au dessus de leur tête l’énorme pierre qui les emmura pour vivre sans témoins un amour sans fin. L’arbre m’a désigné l’endroit de la tombe, entre ses racines sous l’énorme rocher qui l’obture, on y distingue encore deux noms : Europea reine des Ruthènes et Offa ancien légionnaire. Quiconque touche l’épée partirait en fumée, car un violent choc thermique en a fait de l’antimatière mais s’il a le cœur pur il deviendra roi.

« C’est une pièce chaulée, avec une table et des bancs. Au plafond, du maïs mis à sécher en grappes. Je suis chez Sophie par un raccourci. Des bûches  crépitent dans la cheminée. Derrière l’unique fenêtre un chat blanc. Dos au feu un extraterrestre en scaphandre noir pérore. Le nain qui connaît leur langue m’indique que leur vaisseau n’a pour moteur que sa coque d’un métal qui amplifie l’anti-gravitation de la 5ème Force, et qu’endommagée elle se refuse à décoller. Il leur faut de l’anti-hydrogène qui tomberait vers le haut après refroidissement dans un bol magnétique, en quantité suffisante pour les faire décoller. Mon gouffre est visé, et celui qui connaît l’emplacement. Je ferais mieux de me cacher dans la cave de Sophie  isolée des radiations. Dans leur scaphandre ces inhumains  ployaient sous le poids de leurs instruments lorsque coupée en deux la porte s’est ouverte. Encore un rêve, ils se succèdent depuis mon arrivée,   une fausse promo sans doute, tôt ou tard je recevrai la facture. Dommage que Sophie ne soit plus  là, elle les connaît peut être, ça m’aurait aidé. Mais déjà le nain s’impatiente et me tire par la manche

« Assez rêvé ! Tu vas revoir Sophie, suis moi ! Et il me tire vers la porte, nous passons à travers les autres sans qu’ils nous voient. Dehors la troupe de songes indistincts, et sur eux le Remords comme un busard qui plane, et tous de crier en chœur : « Vivent la poésie et le crime ! Vivent les mariés ! »

 Comment savent-ils que j’appartiens au Crime ? Je le demande à mon tourmenteur.

« Tais-toi ! Ton cerveau malade croit voir des choses ! Mais nous sommes I-c-i- k ! Pas dans ton bazar ! Dans la pierre du Mazega avec son facteur et son épicier ! Tes druides n’ont jamais existé ! Pas plus que les trous noirs ! Je ne suis l’antimatière de personne ! Mon reflet dans ta fenêtre était en papier adhésif,  j’étais ailleurs !  Sophie te faisait mettre ses robes  pour se moquer de toi ! Ne te retourne pas ! Il n’y a Rien ! » 
«  Ainsi ce que je viens de voir … »
« N’existe pas ! »


(à suivre)